"Soudain, il s’arrêta. Son pied venait de heurter sous la neige un morceau de pierre taillée. Par sa forme, par sa couleur, ce morceau ne semblait pas appartenir au nouveau sol. Le capitaine Servadac le ramassa. C’était un fragment de marbre jauni, sur lequel on pouvait encore lire quelques lettres gravées, entre autres celles-ci : Vil…
« Villa ! » s’écria le capitaine Servadac, en laissant retomber le morceau de marbre, qui se brisa en mille fragments. De cette villa, sans doute quelque somptueuse habitation bâtie presque à l’extrémité du cap d’Antibes, dans le plus beau site du monde [...] que restait-il à présent ? Pas même ce morceau de marbre, qui venait d’être réduit en poussière !"
« Villa ! » s’écria le capitaine Servadac, en laissant retomber le morceau de marbre, qui se brisa en mille fragments. De cette villa, sans doute quelque somptueuse habitation bâtie presque à l’extrémité du cap d’Antibes, dans le plus beau site du monde [...] que restait-il à présent ? Pas même ce morceau de marbre, qui venait d’être réduit en poussière !"
Non ! Quoi qu'en pense le Capitaine Servadac, cette villa n'a pas disparu. La voici telle qu'elle se présente aujourd'hui. Il s'agit de la villa "Les Chênes Verts", située presque à la pointe du Cap d'Antibes. Une majestueuse demeure qui fut érigée par le célèbre dramaturge Adolphe D'Ennery et dans laquelle, à plusieurs reprises, Jules Verne séjourna quelques semaines. Non pas pour y prendre un repos bien mérité sous le doux climat hivernal de la Côte d'Azur, mais tout au contraire pour y travailler d'arrache-pied avec son hôte sur la transposition au théâtre de ses oeuvres.
Une maison "tellement odieuse"
Cependant, ces séjours furent loin d'être agréables pour lui. Même si au début il fut enchanté - "Une magnifique maison... De ma fenêtre je vois toute la côte depuis le golfe Juan... Du bleu partout, en haut, en bas, et du vert à revendre... Je suis extrêmement bien reçu ici..." écrivait-il à Hetzel.
Mais très vite, son enthousiasme se transforma en un véritable dégoût et son séjour en un véritable calvaire. Voici par exemple ce qu'il écrivait à nouveau aux Hetzel père et fils deux semaines seulement après avoir tenu les propos ci-dessus (février 1875,) alors qu'il travaillait sur l'adaptation des Enfants du Capitaine Grant :
"Je commence seulement à entrevoir la pièce, mais la maison ici m'est tellement odieuse, qu'une fois le plan fait, je partirai. Pour rien au monde, je n'écrirai la pièce ici" ; "Cette maison, [j'en] ai par-dessus la tête"
Maîtresses, cocottes et vulgarité(s)
Pourquoi un tel désenchantement ? "Parce qu'il me faut contenir devant des choses qui me révoltent" répondait-il. "Ici, c'est toujours le milieu que vous savez et qui m'horripile."
Car c'est bien de cela dont il s'agit : ce n'est pas la maison en elle-même qui chagrine - voire qui choque ! - notre cher Jules et sa tendre épouse, mais bien ce qu'il s'y passe. Le fait par exemple que son hôte vivait avec sa maîtresse sous le même toit, le fait surtout que cette femme lui était parfaitement antipathique, notamment en raison de sa vulgarité : "N. d. D. pour parler comme la maîtresse de céans, que de crapauds j'avale !", le fait encore que D'Ennery recevait des amis dont les moeurs froissaient quelque peu (euphémisme) les époux Verne : "Une chose qui me contrarie énormément [...], c'est que C. va venir ici pendant quelques jours avec sa maîtresse, une vraie cocotte. C'est fort ennuyeux pour ma femme, et vraiment très désagréable".
Bref, comme il concluait lui-même en s'adressant à P.J. Hetzel :"Quand vous êtes à Monaco, vous, vous êtes libre, vous êtes en vacances. Quand je suis à Antibes, moi, je suis dans les mois les plus pénibles de mon année...".
Voilà pourquoi, d'un trait de plume vengeur, Jules Verne a fait disparaître de la Terre cette villa maudite dans son roman interplanétaire : "Hector Servadac" (Chapitre XVI). Ajoutons d'ailleurs que, comme l'a judicieusement fait remarquer Christian Chelebourg dans le Bulletin de la Société Jules Verne n°75 de 1985, le fait que le seul mot figurant sur la plaque de marbre retrouvée par le capitaine soit "vil..." n'est sûrement pas un hasard. Jules Verne pensait bien ici à l'adjectif "vil", autrement dit "méprisable".
Une carte postale rare
A l'attention des cartophiles verniens, je signale qu'il existe une carte postale ancienne de cette villa (reproduite ci-dessous). Elle date des premières années de 1900 et représente très certainement l'édifice tel que Jules Verne l'a connu (coté opposé à celui visible ci-dessus). Toutefois, elle n'est pas toujours facile à trouver... (la carte postale, pas la villa).
NB : les citations de Jules Verne ci-dessus sont extraites de plusieurs lettres qu'il a envoyées à Hetzel entre janvier et février 1875, et qui sont reproduites dans le tome II de la Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel, établie par Olivier Dumas, Piero Gondolo della Riva et Volker Dehs, aux Editions Slatkine, Genève, 2001.
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