

Les acteurs
Une première chose est sûre, selon nos enquêteurs, cette première édition espagnole a bien été réalisée à partir du manuscrit de Jules Verne. Il s'agissait certes d'une traduction déplorable, truffée d'erreurs, sans nul doute faite dans la précipitation, mais néanmoins conforme au manuscrit original. Donc la vraie question qui se pose est de savoir comment ce manuscrit a bien pu se retrouver entre les mains de Vincent Guimera, le traducteur, ou de Tomas Rey, l'imprimeur et éditeur, alors même que le livre n'était pas encore sorti en France ? Vincent Guimera, petit fonctionnaire du Ministère des finances espagnol, n'avait a priori aucun lien avec Hetzel, et encore moins avec Jules Verne. Même chose pour l'imprimeur, lequel connaissait par contre parfaitement Guimera, puisque c'est lui qui imprimait les bulletins officiels du Ministère des Finances.
Il faut donc chercher ailleurs, et c'est alors qu'intervient un troisième personnage : la maison d'édition de Madrid, Gaspar et Roig. Celle-ci était en contrat avec la Maison Hetzel pour l'édition des ouvrages de Jules Verne en espagnol. Elle avait déjà édité Cinq Semaines en Ballon et Les Enfants du Capitaine Grant en 1868, ainsi que Voyage au Centre de la Terre en 1869. Or, curieusement, l'édition "officielle" de 20 000 Lieues sous les Mers, qu'elle sortira plus tard en 1872-1874, sera à nouveau signée Vincent Guimera pour la traduction.
Une banale escroquerie (?)
Même si on ne peut apporter aucune preuve à ce sujet, il n'est pas interdit de penser, c'est en tout cas l'opinion de nos Sherlock Holmes andalous, que c'est la maison Gaspar et Roig qui s'était vue confier le manuscrit de Jules Verne par Hetzel, et qui l'avait ensuite transmis à Guimera pour le faire traduire. Mais ce dernier, alléché sans doute par les mirobolants bénéfices que permettait d'escompter la publication en exclusivité d'un manuscrit inédit du grand Jules Verne, aurait décidé de publier sa traduction pour son propre compte, ceci avec la complicité de l'imprimeur Tomas Rey. Il s'agirait donc d'un banal abus de confiance, motivé par la simple cupidité.
Un dernier mystère
Si une partie de l'affaire semble élucidée, une question demeure : pourquoi Hetzel a-t-il confié si rapidement le manuscrit à Gaspar et Roig, alors même qu'en France, sa publication en feuilleton dans le Magasin d'Education et de Récréation ne faisait que commencer (mars 1869) et qu'il savait parfaitement qu'elle ne se terminerait qu'un an plus tard (juin 1870) ? Une question à laquelle ont également tenté de répondre nos fins limiers, mais sans succès. Peut-être les archives de la Maison Hetzel apporteront-elles un jour quelques éclaircissements à ce sujet...
(*) Cette enquête a été menée par Elena Lucas Mchugh, Oscar Cala Lopez, Alberto Torres De La Cruz, Eugenia Colombo Roman, sous la coordination de leur professeur, José Maria Chacon Losada, du Collège "Compania de Maria" de San Fernando, Cadix.
Pdf du Compte rendu de l'enquête (en espagnol)


5 commentaires:
Cette News de 1869 est assez extraordinaires ^_^
Il y a une petite chose qui m'intrigue quand même un peu, mais très certainement à cause de mon manque de lumière sur le sujet, ce sont les dessins de Riou et Neuville. Le manuscrit que Gaspar et Roig avait obtenu, contenait-il les illustrations, car il me semble que celles-ci ont du être réalisées au fur et à mesure de la publication dans le "Magasin d'Education et de récréation", donc entre mars 1869 et juin 1870. Ce pouvait-il qu'en 1869, les 111 illustrations étaient déjà réalisées ?
Et bien !!!
Voilà bien longtemps que je n'avais rien lu d'aussi mystérieux.
Cela nous change un peu des pseudo sondages qui ne veulent rien dire.
C'est une analyse intéressante, mais qu'il faudrait mener plus loin pour être convaincant.
"Le manuscrit", par exemple: s'agit-il du brouillon (20M1) ou de la mise au net (20M2)? En tout cas, les manuscrits verniens ne contiennent jamais de gravures; même les emplacements de celles-ci y sont rarement indiques.
L'explication la plus simple serait en termes d'un jeu d’épreuves, plutôt qu’un document autographe, qui aurait traversé les Pyrénées.
William Butcher
VOLKER DEHS A DIT
Bonjour Passepartout,
je voudrais bien répondre à l'enquête très intéressante sur l'édition espagnole de Vingt mille lieues, mais je ne retrouve plus mon mot de passe et vous prie de bien vouloir insérer le commentaire si vous l'estimez utile.
Il faut tenir compte de la manière d'Hetzel de traiter avec les éditeurs étrangers, notamment des oeuvres de Jules Verne. Tout d'abord il est fort improbable qu'il ait envoyé un manuscrit du roman en question (que ce soit un ms. autographie ou une copie). C'étaient les épreuves du texte qu'il envoyait aux éditeurs alors que Jules Verne était parfois encore en train de les corriger, ce qui fait qu'une traduction (en allemand, polonais etc.) représente quelquefois un état du texte qui est antérieur à celui qui fut publié, soit dans le Magasin, dans l'édition in-18 ou gr. in-8°. Je ne sais pas si les auteurs ont vraiment consulté les deux manuscrits autographes du roman, qui sont déposés à la BnF, où s'ils ont fait la comparaison entre les trois versions imprimées du roman, qui comportes toutes des variantes par rapport aux autres. Ces détails-là seraient très utiles.
Malheureusement les traités entre Hetzel et les éditeurs étrangers antérieurs à 1873 n'ont pas été conservés, mais le fait que l'édition espagnole contient les illustrations originales rend improbable qu'il s'agisse d'une édition pirate. A l'époque, il ne suffisait pas d'avoir des gravures en papier pour en établir la reproduction exacte, mais il fallait avoir les bois dont Hetzel avait le monopole et qu'il vendait assez chers. Vingt Mille Lieues est d'ailleurs le seul roman des Voyages dont le frontispice figure au début du texte de la publication préoriginale (Magasin).
Quant à la date imprimée de 1869, il est, à mon avis, tout à fait possible que le livre ait paru fin 1869 ou début 1870, toujours en considérant que le traducteur a établi son texte sur les épreuves encore en cours de correction. Alors, l'éditeur espagnol n'aurait pas respecté la date de parution imposée par Hetzel. J'ignore si les auteurs de l'enquête ont essayé de rétablir la date exacte de parution et s'il existe en Espagne une sorte de Bibliographie nationale, comme la Bibliographie de la France (ou bien des annonces lancées dans les organes de la librairie espagnole). Cela pourrait éventuellement aider à résoudre la question.
Amitiés,
Volker
Bonjour à tous et merci de vos commentaires passionnants.
Tout d'abord, j'adresse toutes mes excuses à Alphonse de Neuville, dont j'ai malencontreusement oublié de mentionner le nom. Il fallait lire bien sûr "les 111 illustrations de Riou et d'A. de Neuville".
Autrement, je tiens à préciser que mon article n'est qu'un résumé des d'informations glanées ici et là dans la presse espagnole, ce qui explique son incomplétude.
Cependant, voici une bonne nouvelle : j'ai pu entre temps dénicher le pdf du compte rendu (en espagnol) de l'enquête de nos jeunes gens. J'ai ajouté un lien au bas de mon article pour que vous puissiez le télécharger.
Bien à vous,
Passepartout
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